L’historique de l’église Saint-Martin

Le Xlème Siècle a été, en France, une époque de vie religieuse intense. Les misères de l’An Mille avaient exalté le besoin de consolations spirituelles. On sait quelle suite de calamités notre pays avait alors connue.

989 : Grande famine
990 – 994 : Famines et épidémies du fameux mal des Ardents, affection grangréneuse causée par la sous-alimentation
1001 : Grande famine
1003 – 1008 : Grandes famines
1027 – 1029 : Grandes famines

Accablés par tant de maux, les Français décimés croyaient venue la fin du monde. Quand reparut une certaine abondance, ils eurent l’impression d’entrer dans une ère paradisiaque et ne surent comment remercier le Ciel. Le moine chroniqueur Raoul Glaber, dans une phrase célèbre nous dit : “Après les terreurs de l’an mille et après que furent apaisées les calamités qui ravagèrent la France à cette date, notre pays respira et, dans un élan de soulagement, détruisit les vieux sanctuaires dont beaucoup étaient en bois pour en construire de neufs. Il semblait que le monde se pressait de rejeter ses vieilleries pour se couvrir d’un blanc manteau d’églises”.

La floraison du style Roman

C’est alors que pendant cent cinquante ans allait fleurir chez nous le style roman, l’un des plus beaux et des plus religieux qui soient.
À partir du XIIème Siècle, en raison des échanges économiques et artistiques entre le Levant et l’Occident qui furent la conséquence des Croisades, le style roman subit des influences orientales comme cela apparaît clairement dans certains monuments, particulièrement dans le midi de la France, mais, à l’époque où elle fût édifiée, l’église de Labbeville le fût selon des traditions purement gallo-romaines comme l’accusent la sobriété de ses lignes, la solidité un peu lourde de son appareil.
Bâti en 1066, comme il a été dit, notre sanctuaire est très beau et très touchant dans sa simplicité avec ses murs épais, ses ouvertures étroites qui donnent à l’intérieur mystère et recueillement, son plafond de bois qui révèle des influences normandes, sa rosace en ellipse, très originale. Nous devons être reconnaissants à “l’homme riche et pieux nommé Dreux” qui l’a fait construire et il semblerait juste qu’une inscription rappelât son nom (Il était surnommé Dreux de Jérusalem, car, un demi-siècle avant les Croisades, il avait été en pèlerinage dans la Ville Sainte).

La nef et les bas-côté de l’église

L’église de Labbeville avait, à l’origine, une nef centrale et deux bas-côtés. Le bas-côté droit et le clocher furent détruits par un incendie en 1821. Seul le clocher fut reconstruit. Je ne crois pas qu’il ait été réédifié dans sa forme originale car il ne rappelle, par son style, aucun de ceux de la région. Je n’ai pas trouvé de document reproduisant l’aspect primitif de notre église avant l’incendie mais je soupçonne que le clocher ressemblait à ceux d’ Hérouville, d’Auvers et de Vallangoujard avec leur toit à double pente couvert de tuiles et dont la silhouette est à la fois sobre et harmonieuse. Au Moyen-âge et jusqu’au XVIIIème Siècle, il y avait, à l’extérieur du bas-côté droit de l’église, une chapelle placée sous l’invocation de saint Jacques qui avait son desservant particulier, dépendant de l’évêché de Rouen, alors que le curé de l’Église Saint-Martin de Labbeville, on l’a vu, dépendait de l’abbaye bénédictine du Bec-Helloin par l’intermédiaire de l’abbaye de Conflans. Cette chapelle est citée dans un document de 1475, époque où l’abbaye et l’évêque s’en disputaient le bénéfice.
Elle tomba en ruine au XVIIème Siècle et une note de l’abbé Lefranc, ancien curé de notre paroisse à la fin du siècle dernier, indique qu’elle n’existait plus en 1738 mais que la statue de Saint-Jacques avait été transportée dans l’église. On peut l’y voir encore, à droite du chœur.

Sous l’invocation de Saint-Martin

L’église est sous l’invocation de saint Martin, patron de la France, cet officier romain qui se convertit au Christianisme et évangélisa la Gaule Occidentale au IVème Siècle. Sa grande charité est illustrée par l’histoire du manteau partagé avec un pauvre. Son tombeau dans la cathédrale de Tours était, depuis le haut Moyen-âge, un lieu de pèlerinage si vénéré et si fréquenté qu’on l’appelait la Mecque française. C’est dans l’espoir de piller le sanctuaire de Tours que vinrent en France les Sarrazins que Charles Martel repoussa à Poitiers en 732.

En Normandie – et dans le Vexin qui en était si proche – saint Martin faisait l’objet d’un culte particulièrement fervent, presqu’aussi fervent que celui de la Vierge puisqu’un proverbe disait :

 » Saint Martin et sainte Marie se partagent la Normandie »

De fait, les églises de Vallangoujard, Frouville, Amblainville et l’Îsle-Adam sont sous l’invocation de saint Martin, Pontoise a une abbaye Saint-Martin et la grande foire annuelle de cette ville est le 11 Novembre, date de la fête de ce saint.

L’église Saint-Martin, la chapelle Saint-Jacques durent jouer un rôle très grand dans la vie du village pendant tout le Moyen-âge et au-delà. L’historien Seignobes bien que vigoureusement antireligieux et anticlérical a écrit: “On ne saurait rien comprendre à la France du Moyen-âge si l’on ne tient pas compte du fait que la Religion a dominé les pensées et dirigé la conduite de toutes les classes de la Société pendant quinze siècles.” (Histoire sincère de la Nation française).

À cette assertion d’un incroyant, il faut ajouter qu’à une époque de hiérarchisation si rigide des classes sociales et où la naissance jouait un tel rôle, l’Église a été du moins jusqu’au XVIème Siècle la seule force démocratique, la seule a contrebalancer ou tenter de contrebalancer la domination du noble et du guerrier. Par l’Église, un paysan des Abbruzzes ou d’Auvergne, né à demi-serf, pouvait parvenir aux plus hautes dignités ecclésiastiques, devenir évêque, abbé et même pape, cela s’est vu, et cela explique l’attachement passionné des humbles à une foi qui leur apportait le surnaturel dont ils avaient un profond besoin, l’espoir d’une vie future meilleure que leur misérable sort, enfin des possibilités de libération sociale.

Le cimetière se trouvait autour de l’église et ne fut transféré à son emplacement actuel qu’en 1870 (en effectuant des terrassements près de l’église, on a retrouvé, il y a quelques années dans un état surprenant de conservation les corps de personnes inhumées il y a un siècle). Les gens d’importance étaient inhumés dans le sanctuaire même. Nous ignorons le nom de ces privilégiés : La Révolution ordonna la destruction des épitaphes, il n’en reste aucune à Saint-Martin de Labbeville.

Ce texte est un extrait du livre de Jean BERAUD-VILLARS : Monographie sur Labbeville.

Jean Béraud-Villars est un auteur, homme d’affaires et grand voyageur français né le 11 mai 1893 à Écouen et mort le 13 septembre 1979 à Pontoise.

Il est l’auteur de nombreux ouvrages historiques, le plus notable étant le Colonel Lawrence ou la Recherche de l’absolu, paru en 1955. Wikipedia (FR)

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